14 Mai 2021
La communion ne connaît aucune frontière
Par Raymond Latour, o.p.
L’Ascension aura été ce moment clé où Jésus a déployé par son départ tout l’espace missionnaire qui s’ouvrait à ses disciples : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? » (Ac 1, 11) Bientôt, ces Galiléens, sous la poussée de l’Esprit, amorceront un grand mouvement qui les mènera jusqu’aux confins du monde.
Il y aura bien sûr les nombreux déplacements physiques, mais plus encore des déplacements imprévus jusque dans le socle même de leurs croyances. La Mission sera pour eux une grande école de fraternité. Par elle, ils recevront ce qui leur avait été donné mais dont ils ne soupçonnaient pas la valeur, la richesse. La Mission déploiera pour eux les trésors de leur foi. Ils découvriront par expérience ce que le pape François exprime dans Fratelli tutti : « Certaines périphéries sont proches de nous, au centre d’une ville ou dans notre propre famille.
Il y a aussi un aspect de l’ouverture universelle de l’amour qui n’est pas géographique mais existentiel ». (n°. 97)
C’est l’ouverture que crée l’irruption de l’Esprit et qui peut nous mener bien loin dans la découverte de l’autre. La Mission ne consiste pas tant à augmenter le nombre des croyants qu’à élargir la communion. Au-delà des frontières qui paraissaient les plus légitimes entre le permis et le défendu, entre croyants et païens, entre fidèles et pécheurs. La communion ne connaît aucune frontière, elle tend les bras aux peuples de toutes races et nations, aux hommes et aux femmes de tous les milieux de vie, aux riches et aux pauvres, aux forts comme aux faibles. Tous les saints et les saintes, d’une manière ou d’une autre, se sont attachés à illustrer cette pédagogie divine de la fraternité.
Voyez Marguerite d’Youville et Jeanne Mance prendre soin des pauvres et des malades, Marguerite Bourgeoys enseigner aux fillettes et aux autochtones, et dans la tradition dominicaine, un Bartolomé de Las Casas faire droit aux peuples autochtones : tous repoussent les frontières qui séparent les êtres humains, tous œuvrent à la réconciliation, à l’inclusion, à l’insertion, à la réhabilitation. Par leur travail, ils font éclater tout ce qui enferme dans des « bulles » de protection pour éviter la rencontre de l’autre.
Le 8 mai dernier, l’Église faisait mémoire des martyrs d’Algérie, martyrs de communion, et tout récemment, elle ouvrait la voie à la canonisation de Charles de Foucauld, homme de Dieu auprès des musulmans. Tous, dans la mouvance de la résurrection, se sont appropriés la logique de l’Incarnation, celle de la proximité de Dieu. Oui, Dieu s’est fait proche. Alors, eux aussi se feront proches, deviendront le prochain de l’exclu, du méprisé, du pauvre, du malade, du laissé-pour-compte. Avec eux, il n’y a plus de « déchet social », personne n’est considéré comme un fardeau, les exilés sont rapatriés au pays d’une commune humanité. Tout être a une valeur, une dignité infinie, comme le martèle le pape François. Le racisme ne survit pas à pareille médecine. Ici et là, des cellules d’humanité recréent le tissu social. Comment nier la place d’une personne qui tient sa place dans le cœur de Dieu ?
« Aimer, c’est vivre dangereusement »
Le saint, la sainte, le disciple-missionnaire, approfondit une identité d’un type nouveau. Ils se définit non pas en étant contre, mais tout contre, au plus près de l’autre, jusqu’à l’abandon de ses repères, de ses propres traits de culture. Jésus avait invité ses disciples à partir, deux par deux, sans bâton, sans manteau, sans sac, un dénuement pour rencontrer l’autre. Comme Jésus s’était dépouillé de sa divinité, le disciple se dépouille de tout ce qui pourrait l’encombrer ou gêner la rencontre. La communion renonce à l’affirmation de soi pour la proclamation de la Bonne Nouvelle. Et tout est redonné au centuple ! A-t-on jamais entendu dire que quelqu’un ait fait fausse route en empruntant le chemin des Béatitudes ?
L’identité qui s’affiche est une identité menacée. Combien de gens dans notre monde ressentent-ils leur vulnérabilité devant des attitudes impérialistes, arrogantes, méprisantes ? Le réflexe de protection n’est-il pas bien naturel pour préserver ce qui nous paraît attaqué, compromis ? Les saints ne connaissent pas ces rationalisations. Ils sont comme de petits enfants, livrés à l’autre, jusqu’au martyre, si tel est l’aboutissement du désir de communion. C’est leur folie à eux, qui est, nous le savons, sagesse de Dieu, suprême liberté humaine. Ils ont l’ambition du Royaume. Les mécanismes de défense n’opèrent plus. Comme Jésus, ils ne cherchent pas à garder leur vie mais à la donner, car il n’y a pas de plus grand amour.
La personne qui pratique l’hospitalité accueille l’autre chez elle. Il n’y a pas de déplacement de sa part. Le « chez-moi » protégé, gardé, est offert à l’autre, à l’hôte de passage. En français, le mot hôte peut désigner à la fois la personne qui reçoit et celle qui est reçue. Plus personne n’est chez-soi, une maison commune est née pour la joie de l’une et l’autre. Ensemble, elles partagent un repas, elles goûtent la gratuité, elles goûtent la grâce. Des traditions religieuses, comme le souligne François, font une grande place à l’hospitalité, devoir sacré qui peut bousculer les priorités les plus nobles. Ce n’est pas une visite, c’est une visitation. Un rappel que l’amour prime tout. « Le plus grand danger, c’est de ne pas aimer ». (cf. Fratelli tutti, n°. 93) Aimer, c’est vivre dangereusement, peut-être, mais oublier d’aimer, négliger d’aimer, c’est combien plus dangereux ! Les saints ont su calculer le risque. Ils font des gains en donnant.
La conversion de foi authentique est aussi une conversion missionnaire. Celle-ci opère ce déplacement : c’est l’autre, le prochain, qui devient sacré. Un coup franchie cette grande étape, les Apôtres ont compris à quel rassemblement inimaginable ils étaient convoqués.
La Parole poursuit sa course. L’Église est née de la Pentecôte. L’Humanité nouvelle aussi.
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